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La Fed baisse à nouveau ses taux alors que l’économie américaine tient bon

par Contribution Externe
(Graeme Sloan/Sipa USA)

La Réserve fédérale américaine a abaissé ce mercredi son taux directeur de 25 points de base, ramenant la fourchette de son taux directeur de 3,75–4,00 % à 3,50–3,75 %. Il s’agit de la troisième baisse consécutive depuis septembre, soit 175 points de base de détente monétaire depuis le début de ce nouveau cycle d’assouplissement. Les marchés anticipaient largement ce mouvement : les contrats à terme intégraient une probabilité proche de 90 % en faveur d’une nouvelle réduction de 25 points de base à l’issue de cette réunion.

Chez Waterloo Asset Management, nous considérons que la décision intervient dans un contexte moins morose que le marché ne le pense car l’économie américaine ne montre toujours pas de signes de récession imminente et l’inflation revient lentement vers l’objectif de 2 %.

Un marché du travail « no hire, no fire »

L’enquête d’octobre sur les postes vacants et la rotation de la main-d’œuvre indique que les offres d’emploi se sont établies à 7,7 millions, quasiment inchangées par rapport à septembre, un niveau encore supérieur à la période pré-Covid. Les embauches ressortent à 5,1 millions, un volume stable, à peine supérieur aux séparations.

Il y a « no hire, no fire » : les entreprises licencient peu mais elles embauchent sans enthousiasme. Quant aux démissions volontaires, elles reculent, signe que les salariés se sentent moins confiants dans leur capacité à retrouver un emploi mieux rémunéré ou plus attractif.

Du côté des PME, l’enquête de novembre de la NFIB dresse un tableau assez positif : 33 % des petits patrons déclarent avoir des postes qu’ils n’arrivent pas à pourvoir et 19 % prévoient d’augmenter leurs effectifs dans les trois prochains mois, un niveau supérieur à la moyenne historique d’environ 12 %.

Mis bout à bout, ces indicateurs montrent que le marché du travail ralentit mais reste en quasi-équilibre : pas de destruction massive d’emplois, mais un essoufflement des embauches et de la mobilité des travailleurs.

Une inflation encore au-dessus de 2 %

L’inflation mesurée par l’indice PCE reste bloquée aux alentours de 2,8 % en rythme annuel, soit au-dessus de la cible de 2 %, mais très loin des pics de 2022. Selon la Réserve fédérale de Richmond, les écarts d’inflation par rapport à 2 % se résorbent aujourd’hui beaucoup plus lentement qu’avant la crise sanitaire. Si l’on prend une inflation à 2,8 %, un simple scénario « sans choc » implique 2,56 % dans un trimestre, 2,39 % dans deux trimestres, et autour de 2,2–2,3 % au bout de 18 à 24 mois.

C’est cette trajectoire graduelle mais orientée à la baisse qui donne à la « Fed » une marge de manœuvre pour assouplir la politique monétaire, tout en répétant qu’elle reste « restrictive ». Les membres du comité monétaire estiment que le taux directeur de la « Fed », dit « taux neutre », compatible à long terme avec le plein emploi et une inflation à 2 %, se situe autour de 3,0 % (projection de long terme).

Avec un nouveau couloir de 3,50–3,75 %, la Fed peut donc affirmer que les taux restent au-dessus du neutre mais qu’elle s’en rapproche.

Nombre d’économistes, dont nous faisons partie, contestent pourtant la solidité de ce concept de taux neutre, pointant sa grande incertitude et le fait qu’il soit sensible aux chocs structurels liés à la démographie, la productivité, l’intelligence artificielle ou les déficits publics élevés. Cela reste néanmoins un élément central du discours de la Fed pour justifier des baisses de taux tout en affirmant agir avec prudence.

Les obligations refusent de suivre le script de la Fed

La décision de baisser les Fed funds n’a pas entraîné de détente significative sur le long terme : le rendement du Treasury à 10 ans reste autour de 4,1–4,2 %, soit pratiquement le même niveau qu’avant le début de la séquence de baisses de taux en septembre 2024.

Ce décrochage entre taux courts et taux longs reflète une inquiétude de la part des investisseurs obligataires à l’égard de plusieurs facteurs. Il y a le déficit fédéral massif et la forte progression de la dette publique, qui nécessitent une offre de titres de la dette toujours plus abondante. Comme nous l’avons vu, l’inflation reste également bloquée au-dessus de 2 %, alimentée par les tarifs douaniers et les tensions sur l’offre liées à des politiques migratoires plus restrictives. Enfin, subsiste l’incertitude politique, y compris autour de la succession de Jerome Powell et du profil potentiellement plus accommodant de son successeur pressenti, Kevin Hassett.

Par conséquent, la persistance de taux d’intérêt à long terme élevés neutralise, à tout le moins en partie, les effets de la politique d’assouplissement de la Fed sur les conditions financières de long terme.

Au-delà du taux directeur

En parallèle des décisions sur les taux, la Fed vient d’opérer un tournant sur la taille de son bilan. Après plus de trois ans de resserrement quantitatif (QT), durant lesquels elle laissait une partie de ses titres de dette arriver à échéance sans les remplacer, elle a mis fin au dégonflement de son bilan. Elle stabilise désormais son stock de titres afin de maintenir un niveau de “réserves plus abondantes” dans le système bancaire.

L’objectif est d’éviter de retomber dans un scénario comparable à celui de septembre 2019, lorsque la raréfaction des réserves avait fait flamber jusqu’à près de 10 % les taux « repo », c’est-à-dire les taux au jour le jour auxquels les banques se prêtent des liquidités contre des titres de dette publique. Cela avait forcé la « Fed » à injecter d’urgence des liquidités.

Cette stratégie plus « accommodante » nourrit néanmoins les critiques de ceux qui dénoncent un soutien permanent aux marchés financiers. Force est de reconnaître que la prolongation du resserrement quantitatif aurait freiné la transmission de la baisse du taux directeur à l’économie réelle, d’autant plus que les taux longs restent élevés.

2026, c’est demain

Cette dynamique de baisse des taux devrait se poursuivre en 2026 et constituer un facteur de soutien à la fois pour les marchés obligataires et pour les actions. Chez Waterloo Asset Management, nous conservons un scénario de désinflation graduelle et de croissance robuste, tirée par des gains de productivité. Dans ce contexte, notre objectif de fin d’année à 7.000 points sur le S&P 500, alors qu’il était encore à 6.600 en septembre, est désormais à portée de main. Nous n’allons pas nous en plaindre.

Mikael Petitjean, Chief Economist (Waterloo Asset Management) et Professeur des Universités (UCLouvain, UGent)

(Graeme Sloan/Sipa USA)

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