À l’ULB, la valeur des diplômes doit reposer absolument sur l’intégrité des évaluations, souligne Éric Muraille, biologiste, directeur de recherches FNRS attaché à l’ULB, dans sa carte blanche. L’affaire du Pr Leys accusé de discrimination pour avoir demandé de vérifier les oreilles d’étudiantes voilées, et le silence du rectorat, envoient un signal inquiétant. D’autant plus que ces mêmes activistes ont soutenu l’occupation de l’ULB par des militants propalestiniens, la présence de Samidoun et l’exclusion de voix jugées dissidentes. Renoncer à une mesure anti-fraude pour motifs religieux sape non seulement cette crédibilité, mais alimente aussi une stigmatisation des étudiantes musulmanes. Si la liberté religieuse est un droit fondamental, la liberté académique, elle, protège l’université de toute pression idéologique. Or, une minorité d’activistes tente d’imposer des normes communautaires contraires à l’esprit universitaire.
Le Professeur Christophe Leys, Doyen de la faculté de psychologie de l’ULB, est « accusé de discrimination pour avoir demandé de vérifier les oreilles des étudiants avant un examen ».
Précisons déjà qu’il ne s’agit pas d’une tentative d’attouchement ou de voyeurisme. Le Pr. Leys a simplement prévenu les étudiants inscrits à son examen écrit de génétique qu’ils devaient garder les poignets et les oreilles visibles durant toute sa durée, ceci afin de prévenir d’éventuelles tricheries au moyen d’oreillettes et de montres connectées.
Depuis, le professeur est la cible de critiques virulentes sur les réseaux sociaux, émanant notamment d’un syndicat et de plusieurs cercles étudiants de l’ULB. L’UNIA (ex-Centre pour l’égalité des chances) s’est également saisie de l’affaire qui est relayée par plusieurs médias. Le rectorat, de son côté, a choisi de ne pas soutenir le professeur et lui a demandé de suspendre la mesure.
Une exigence discriminatoire, douloureuse et une atteinte à la dignité ?
Pour certains à l’ULB, la demande du Pr. Leys a clairement franchi une ligne rouge.
L’Union Syndicale Étudiante (USE) de Bruxelles, ainsi que plusieurs cercles étudiants, de l’ULB, (le librex, le cercle féministe, le cercle propalestinien bds, et le cercle des étudiants arabo européen), ont appelé sur leur Instagram à une manifestation silencieuse afin de protester contre une demande qu’ils qualifient d’« extrêmement discriminatoire contre les étudiantes qui portent le voile ».
Pour l’USE, « Le voile ne peut être assimilé à un simple accessoire vestimentaire ». « Il s’agit d’une expression identitaire forte pour de nombreuses femmes musulmanes. » En conséquence, « l’injonction à rendre les oreilles visibles entre en conflit direct avec leurs convictions religieuses, restreignant de manière significative leur liberté de culte ». Un signalement a été adressé à la Cellule Genres et Diversité de l’ULB et à l’UNIA.
Dans un courriel adressé au Pr. Leys, l’UNIA estime que l’exigence de garder les oreilles visibles durant toute la durée d’un examen est de nature à « porter atteinte à la liberté d’exprimer sa religion et à l’interdiction de discrimination, principes repris par différents textes légaux nationaux et internationaux. »
Elle précise que « en plus d’être particulièrement inconfortable et douloureuse tout au long de l’examen, cette exigence de laisser les oreilles découvertes porte également atteinte à la dignité des étudiantes concernées. Cette manière de positionner leur foulard les mettrait dans une position qu’elles vivraient comme ridicule et qu’elles n’acceptent pas d’adopter » .
L’UNIA demande donc que la mesure soit adaptée et réduite à un seul contrôle en début d’examen. Une mesure jugée insuffisante par le Pr. Leys, qui souligne que cela laisse toute latitude à une étudiante de s’équiper d’un dispositif après le contrôle, et qui est difficile à mettre en œuvre, certaines étudiantes exigeants que ce contrôle n’ait lieu qu’en privé, réalisé par une assistante.
Conciliant, le Pr. Leys a proposé plusieurs alternatives : passer un oral pour les personnes refusant de dégager leurs oreilles — une solution jugée « profondément inégalitaire » par l’USE — ou permettre des contrôles ponctuels réalisés par des assistantes, mesure rejetée par les étudiantes concernées qui les considèrent comme trop « intrusive » et les assistantes elles-mêmes, confrontées à de l’hostilité.
La solitude d’un prof
Les consignes imposées par le Pr. Leys reposent sur un principe de bon sens : garantir des conditions d’examen équitables en empêchant la fraude technologique. Elles visent toute personne dissimulant ses oreilles ou poignets, quel que soit son genre, son origine ou sa religion.
Soulignons que garder les oreilles et les poignets visibles durant un examen écrit ne sont pas des mesures inhabituelles : elle sont appliquées par de nombreux enseignants à l’ULB et dans d’autres universités belges depuis de nombreuses années, sans protestation notable de la part des étudiants.
Pourquoi, alors, une telle polémique aujourd’hui ? Pourquoi évoquer une atteinte aux droits fondamentaux et exiger la suspension immédiate de ces mesures ?
Nous sommes face à la tentative d’une minorité d’activistes radicaux d’imposer des normes communautaires religieuses fondamentalistes à l’université au détriment de ses missions fondamentales.
L’obligation de couvrir les oreilles avec un foulard est davantage issue de traditions, d’interprétations juridiques ou culturelles que d’un commandement explicite du Coran. Aucun verset de celui-ci ne le stipule. Dès lors, en faire un interdit religieux est abusif et est la marque d’une vision radicale et non sécularisée de l’Islam.
Et pourquoi le rectorat, bien conscient de la banalité de ces mesures anti-fraude et de la gravité des accusations de discrimination religieuse, n’a-t-il pas soutenu son professeur, préférant lui demander d’abandonner les mesures et d’en informer l’USE ?
Cette absence de soutien et cette capitulation ne peut qu’être ressentie comme humiliante et démoralisante par le professeur Leys, dont le seul objectif était d’assurer l’équité des conditions d’examen.
L’hallalisation de l’ULB
La valeur des diplômes dépend de la qualité de l’enseignement et des évaluations. Renoncer à une mesure anti-fraude pour raisons religieuses fragilise la crédibilité des diplômes et la réputation de l’ULB et stigmatise les étudiantes musulmanes.
La liberté religieuse est certes un droit fondamental. Mais la liberté académique, qui protège les enseignants de toute pression idéologique ou religieuse, l’est tout autant. Elle est protégée par le droit belge et le droit européen et doit primer dans une institution consacrée à l’enseignement et à la recherche.
Nous sommes face à la tentative d’une minorité d’activistes radicaux d’imposer des normes communautaires religieuses fondamentalistes à l’université au détriment de ses missions fondamentales. L’attaque contre le Pr. Leys et l’absence de soutien du rectorat envoie un message clair à l’ensemble du corps enseignant.
Rappelons que ce sont les mêmes organisations étudiantes qui ont soutenu l’occupation et la dévastation d’un bâtiment de l’ULB par des activistes propalestiniens, les mêmes qui ont défendu la présence du mouvement Samidoun, proche du FPLP et du Hamas, sur les campus, et encore les mêmes qui ont réclamé l’interdiction à l’ULB des conférences impliquant l’historien Elie Barnavi et le président du MR Georges-Louis Bouchez.
On ne peut que recommander aux autorités académiques de l’ULB la lecture de l’essai « Allah n’a rien à faire dans ma classe » de Laurence D’Hondt et Jean-Pierre Martin, qui décrit la solitude des enseignants face à la montée de l’islamisme. Il y est montré à quel point les compromissions successives peuvent aboutir à des reculs dramatiques de la liberté pédagogique.
Tant que les signes religieux ne remettent pas en cause les fondements de l’université, ils peuvent être tolérés. Mais si le simple dévoilement des oreilles durant un examen devient une atteinte insupportable à la dignité des étudiantes musulmanes légitimant la suspension d’une mesure anti-fraude, quelles seront les prochaines revendications ?
Que fera-t-on lorsque ces radicaux protesteront contre l’enseignement de la théorie de l’évolution ou d’un fait historique sensible en prétextant que des étudiants se sentent attaqués dans leur identité et leurs convictions religieuses ? Acceptera-t-on que certains contenus d’enseignement soient censurés au nom du respect des croyances ? Scientia vincere tenebras, la science vaincra les ténèbres, est la devise de l’ULB et certains aimeraient encore y croire un petit peu.
Éric Muraille, Biologiste, Directeur de recherches FNRS attaché à l’ULB
(Photo d’illustration Belga : Ophélie Delarouzée)