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Bruxelles sous pression agricole : les tracteurs s’invitent au cœur du pouvoir européen

par Harrison du Bus
Photo Belgaimage

Bruxelles s’est réveillée jeudi matin dans un climat de tension rarement observé autour des institutions européennes. Des centaines de tracteurs, venus de Belgique mais aussi d’autres pays européens, ont convergé vers le quartier européen pour dénoncer la politique agricole de l’Union et, surtout, le projet d’accord de libre-échange avec le Mercosur. Très vite, la manifestation a dépassé le simple registre symbolique : canons à eau, gaz lacrymogène, tunnels fermés, autoroutes bloquées. La capitale de l’Europe s’est retrouvée paralysée au moment même où les chefs d’État et de gouvernement se réunissaient en sommet.

Plus de 8.000 agriculteurs et environ 500 tracteurs étaient attendus dans le centre-ville. Dès l’aube, des colonnes de véhicules agricoles ont provoqué des kilomètres d’embouteillages sur les axes E40 et E411, certains tronçons étant totalement à l’arrêt pendant plusieurs heures. À mesure que les tracteurs prenaient position rue de la Loi et aux abords de la place du Luxembourg, les forces de l’ordre ont renforcé leur dispositif, allant jusqu’à recourir au canon à eau puis au gaz lacrymogène pour empêcher certains engins de franchir le périmètre de sécurité du sommet européen.

Une colère agricole qui vise directement Bruxelles

La mobilisation n’a rien d’improvisé. Elle est portée par une quarantaine d’organisations agricoles européennes, dont de puissants syndicats français affiliés au Copa-Cogeca. Leur objectif est explicite : peser sur les décisions européennes au moment où la Commission espère toujours conclure, samedi, l’accord commercial avec les pays du Mercosur.

Aux yeux des agriculteurs, ce traité cristallise une inquiétude plus large. Ils redoutent une concurrence jugée déloyale, avec l’importation de produits agricoles sud-américains soumis à des normes environnementales et sanitaires moins strictes que celles imposées aux producteurs européens. Viande bovine, sucre, miel : autant de filières qui, selon eux, seraient directement fragilisées.

À cette crainte s’ajoute celle d’une baisse du budget de la politique agricole commune après 2027. Dans un secteur déjà confronté à une hausse des coûts, à une pression réglementaire accrue et à une volatilité des prix, toute réduction de la PAC est perçue comme une menace existentielle. Même l’annonce récente d’un aménagement de la future taxe carbone sur les engrais importés n’a pas suffi à calmer la colère.

Tracteurs contre institutions : une mise en scène assumée

Le choix de Bruxelles et du quartier européen n’est évidemment pas anodin. En venant avec leur principal outil de travail, les agriculteurs entendent rappeler que les décisions prises dans les bâtiments de verre ont des conséquences très concrètes sur le terrain. « Nous ne sommes pas contre l’Europe », confiait un éleveur flamand présent sur place. « Nous sommes ici pour assurer notre avenir. »

Cette rhétorique est largement partagée : la mobilisation se veut européenne, non nationaliste. Les manifestants ciblent la Commission et les chefs d’État, non l’idée européenne elle-même. Mais la radicalité des moyens employés — blocages, barrages, affrontements ponctuels — traduit un sentiment d’urgence et d’impuissance face à des décisions perçues comme lointaines et technocratiques.

Un timing explosif pour l’Union européenne

La manifestation intervient au pire moment pour les institutions. Le sommet européen qui se tient à Bruxelles aborde des dossiers lourds, dont le futur cadre budgétaire de l’Union. Officiellement, le Mercosur ne figure pas à l’ordre du jour, mais plusieurs États membres, la France en tête, n’excluent pas de remettre le sujet sur la table.

La coïncidence entre sommet politique et mobilisation agricole transforme la rue en acteur à part entière du rapport de forces. Les images de tracteurs face aux policiers, au pied même des bâtiments européens, envoient un message clair : l’acceptabilité sociale des accords commerciaux et des arbitrages budgétaires est loin d’être acquise.

Un malaise agricole qui dépasse le Mercosur

Au-delà de l’accord avec l’Amérique latine, la colère agricole révèle un malaise plus profond. Depuis plusieurs années, le monde agricole européen se sent pris en étau entre exigences environnementales, ouverture commerciale et pression sur les prix. Les manifestations à Bruxelles s’inscrivent dans une séquence plus longue, marquée par des mobilisations similaires aux Pays-Bas, en France ou en Allemagne.

Ce jeudi, la tension dans le quartier européen agit comme un révélateur. Elle montre que la question agricole n’est plus seulement sectorielle, mais politique. Elle touche à la souveraineté alimentaire, à la cohérence des politiques européennes et à la capacité de l’Union à concilier transition écologique et viabilité économique.

À Bruxelles, les tracteurs finiront par quitter les rues. Mais la question qu’ils posent — celle du prix politique des choix européens —, elle, ne disparaîtra pas avec la fin de la manifestation.

Harrison du Bus

(Photo Belgaimage)

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