La Belgique traverse une crise profonde de son système judiciaire. Tribunaux saturés, prisons surpeuplées et manque chronique de moyens alimentent le sentiment que l’État perd du terrain face au crime organisé lié à la drogue. Alors que les violences associées au narcotrafic se multiplient, la justice apparaît entravée par des failles structurelles et un sous-financement persistant, nourrissant un climat d’impunité.
Au cours de l’année écoulée, la ministre de la Justice Annelies Verlinden a réclamé un milliard d’euros supplémentaires pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée, dont la moitié destinée au fonctionnement quotidien et l’autre aux infrastructures. Parmi les pistes avancées figurent un durcissement des peines contre les barons de la drogue, l’instauration de tests de dépistage obligatoires en prison et une contribution financière accrue des détenus les plus aisés au coût de leur incarcération. En parallèle, le ministre de l’Intérieur Bernard Clerfayt a relancé un débat très controversé en évoquant le possible déploiement de militaires dans les grandes villes pour contenir la flambée de violences liées au trafic de stupéfiants.
A Ostende, un homme abattu en pleine rue
Les faits récents soulignent l’urgence de la situation. À Bruxelles, plusieurs fusillades mortelles ont été directement liées à des règlements de comptes entre gangs. À la prison de Haren, des agents ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête pour corruption et trafic, tandis qu’un détenu y a été torturé pendant plusieurs jours sans intervention. À Ostende, un homme a été abattu en pleine rue, vraisemblablement dans un contexte de trafic de drogue. Le phénomène a même atteint les plus hauts sommets de l’État : lors de la précédente législature, un ministre de la Justice avait dû se cacher après avoir reçu des menaces émanant du crime organisé.
Au-delà de la violence, c’est toute la mécanique judiciaire qui semble grippée. Plus de 2.500 condamnés sont actuellement sous bracelet électronique ou en attente d’une place en prison en raison de la surpopulation carcérale. Selon des chiffres communiqués par les syndicats pénitentiaires, 499 détenus dorment aujourd’hui à même le sol dans dix-neuf prisons, un problème particulièrement aigu en Flandre.
Moyens de lutte comparables aux pays voisins
Ce constat est d’autant plus préoccupant que la Belgique consacre des moyens publics comparables à ceux de pays voisins à l’ordre et à la justice, tout en obtenant des résultats nettement inférieurs. Les appels à une réforme structurelle et à une meilleure gestion se succèdent, sans qu’aucun ministre de la Justice ne soit parvenu à inverser durablement la tendance. La demande d’investissements urgents formulée par Annelies Verlinden intervient en outre dans un contexte budgétaire tendu, alors que le gouvernement fédéral cherche à économiser près de 10 milliards d’euros.
Cette crise se double d’une érosion de la confiance citoyenne. Selon la cinquième édition du Baromètre de la Justice, à peine un Belge sur deux fait encore confiance au système judiciaire. La défiance est particulièrement marquée dans les milieux populaires, tandis que seule la classe moyenne supérieure affiche une confiance majoritaire.
Malaise dans la magistrature
Le malaise est également perceptible au sein même de la magistrature. Une juge spécialisée dans la lutte contre le crime organisé à Anvers a récemment mis en garde contre le risque de voir la Belgique évoluer vers un « narco-État », caractérisé par des économies illégales, la corruption et la violence. Dans une lettre ouverte, elle décrit comment des milliards d’euros issus de la drogue sont blanchis via l’immobilier et l’horeca, permettant à ces réseaux de s’enraciner durablement dans la société. Selon elle, la corruption touche désormais des secteurs clés, des ports aux douanes, en passant par la police et jusqu’au système judiciaire lui-même.
La situation belge illustre plus largement un défi européen : comment lutter efficacement contre des réseaux criminels transnationaux lorsque les institutions sont fragilisées par l’austérité, la corruption et une perte de légitimité. Sans s’attaquer de front aux goulets d’étranglement de la justice et des forces de l’ordre, la bataille contre le narcotrafic risque de devenir, en Belgique, de plus en plus difficile à gagner.
La rédaction
(Photo Belgaimage)