Il ne faut pas se lamenter sur les réformes des médias de proximité ou sur la fusion des groupes de presse. Il faut se rendre compte que les médias et leur mode de consommation ont changé. Et c’est une chance pour le pluralisme des idées. Une carte blanche de Nicolas Dieudonné, expert et professeur en nouveaux médias – Conseiller Communal MR.
La réforme des télévisions locales en Belgique francophone et la fusion des groupes Rossel et IPM ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines. On entend des inquiétudes, des interrogations, notamment sur le pluralisme et l’indépendance de l’information. Mais si ces évolutions interrogent, elles s’inscrivent aussi dans une tendance de fond. Une réalité que beaucoup ont encoredu mal à comprendre ou à accepter : le monde de l’information a changé. Profondément. Définitivement.
Aujourd’hui, un média, ce n’est plus simplement une chaîne de télévision ou un quotidien papier. C’est un producteur de contenus, qui navigue dans un environnement devenu ultra-concurrentiel, dominé depuis plus de dix ans par un véritable game changer : les réseaux sociaux.
Avec l’explosion de ces plateformes, le monopole de l’information a volé en éclats. Chaque citoyen, chaque organisation, chaque collectif peut devenir un média. Et certains l’ont compris bien plus vite que d’autres. Chez nos voisins français, des acteurs comme BRUT, Hugo Décrypte, ou plus récemment en Belgique avec « Mise à Jour », le média digital pour ados de la RTBF, ont inventé de nouveaux formats, pensés pour les réseaux : entre vidéos courtes, interviews longues sur des thématiques de niches, mini-docs, podcasts, lives… Le tout adapté aux codes et aux usages des générations connectées. Fini les formats rigides. Place aux contenus plus souples, plus incarnés, plus accessibles.
Dans cette logique, certains médias revendiquent clairement leur vision. C’est le cas de plateformes comme celle-ci (21News), qui assume sa ligne éditoriale, ou encore de Limit, média militant orienté écologie. Même chose en France avec Mediapart, Mr Mondialisation, estampillés à gauche ou VA+ et Frontières à droite, voire d’extrême droite. Et dans cet écosystème, on voit émerger des comptes comme Alerte Infos sur X.com. Plus de 750.000 abonnés, une ligne éditoriale simple : relayer ce qui fait réagir, sans forcément produire de journalisme, sans mise en contexte, sans analyse.
Il faut aussi parler du rôle croissant des influenceurs. Qu’on le veuille ou non, ils pèsent aujourd’hui sur l’opinion. Entre deux placements de produit, certains se transforment en commentateurs d’actualité, sans formation, sans déontologie journalistique, mais avec une audience qui dépasse parfois celle des médias classiques.
La question est là. Face à cette transformation, les médias traditionnels ont mis trop de temps à comprendre ce qui se passait. Certains ont sous-estimé la puissance des réseaux, l’impact des algorithmes, et surtout le changement radical des usages.
Pendant que le public se tournait vers des formats plus courts, plus dynamiques, plus incarnés, beaucoup continuaient de produire comme avant, sans réel soutien ou accompagnement extérieur. Résultat : un décalage de plus en plus fort. Ce retard n’a pas seulement coûté de l’audience. Il a coûté un désintérêt. Notamment auprès d’une partie de la population qui ne comprend pas pourquoi l’information serait payante, pourquoi elle serait moins accessible, ou pourquoi elle ne collerait pasaux codes de son quotidien numérique.
Les médias ont tenté de réagir. Certains le font avec brio. Mais la réalité est simple : ce sont désormais les plateformes, les créateurs de contenus et les algorithmes qui dictent les nouvelles règles du jeu.
Face à ce constat, certains parlent de polarisation. Et oui, c’est une réalité : les réseaux amplifient les contenus qui confirment ce qu’on pense déjà. Les bulles d’information existent. Mais ce n’est pas une nouveauté. Ce qui change, c’est que le pluralisme prend aujourd’hui des formes plus éclatées, moins centralisées.
Ce n’est ni bien ni mal. C’est un fait. Le problème n’est pas qu’il y ait des médias à gauche, d’autres à droite, des militants, des indépendants, des influenceurs. Le vrai sujet, c’est que chacun sache qu’il consomme un point de vue. Qu’aucun média n’est totalement neutre. Pas plus un JT qu’un fil TikTok. La clé, elle est là : comprendre le fonctionnement de ce nouveau paysage, et surtout, apprendre à multiplier ses sources. À confronter les regards. À sortir de sa bulle.
Un point mérite aussi d’être posé ici. Quand certains s’indignent aujourd’hui de la concentration des médias ou de la réforme des télévisions locales, il faut aussi regarder la réalité en face. Ce n’est pas la réforme, ni même un gouvernement, qui menace le pluralisme. C’est l’économie de l’information qui s’est transformée. Ce sont des années d’inaction face aux géants du numérique. Ce sont les GAFAM qui captent aujourd’hui l’essentiel des revenus publicitaires. C’est l’absence de réflexion, il y a dix ou quinze ans, sur l’évolution des modes de consommation.
Ironie de l’histoire : beaucoup de ceux qui s’inquiètent de la disparition des médias utilisent eux-mêmes les réseaux pour contourner les journalistes. Ils imposent leur propre narratif, sans contradiction, sans filtre. Parfois même sponsorisé. Sont-ils en partie responsables ? C’est un autre débat. Mais c’est un fait.
L’info de qualité, le journalisme rigoureux, a encore toute sa place. Mais dans un contexte devenu plus difficile. Plus fragmenté. Plus complexe.
Ce qui sauvera l’info, ce ne sont pas les subventions. Ce ne sera pas non plus la nostalgie d’un modèle qui n’existe plus. Ce sera, avant tout, l’éducation aux médias. Le développement de l’esprit critique. La capacité, pour chacun, de comprendre le contexte informationnel dans lequel il évolue.
Parce qu’aujourd’hui, l’info est partout. Elle est immédiate. Mais elle est aussi parfois biaisée, parfois manipulée, parfois tout simplement incomplète. Et il faudra des journalistes de qualité pour remettre de l’ordre, décrypter, analyser et tirer des conclusions face à ce flux informationnel intense. Le pluralisme n’a pas disparu. Il a changé de visage. À nous, collectivement, de l’apprivoiser.
Nicolas Dieudonné, Expert et professeur en nouveaux médias – Conseiller Communal MR
(Photo d’illustration : Josselin Clair / Le Courrier de l’Ouest)