On disait la Commission européenne sous pression des constructeurs automobiles allemands et français. Pression jugée illégitime, intéressée, presque réactionnaire. Elle aura pourtant fini par produire ses effets. Ce mardi 16 décembre, le commissaire Stéphane Séjourné a acté ce que beaucoup savaient déjà : l’objectif d’une interdiction totale des ventes de véhicules thermiques neufs en 2035 était intenable. La Commission adoucit donc le calendrier et le repousse, en l’habillant d’un mécanisme de compensation CO2 aussi technocratique qu’inapplicable, censé mener magiquement au zéro carbone.
Peu importe l’emballage. Le signal politique est clair. Le principe de réalité fait son retour au Berlaymont. Tardivement, mais enfin.
Il fallait pourtant être aveugle pour ne pas voir l’état réel du marché. Les véhicules électriques chinois ont déjà envahi nos routes, nos parkings et nos campagnes. Du SUV MG à moins de 24.000 euros aux modèles premium autour de 40.000 euros, capables de rivaliser sans complexe avec Mercedes ou Audi, la concurrence est là, massive, structurée, subventionnée et technologiquement en avance. Pendant que l’Europe se payait de mots, la Chine construisait une industrie.
Il faut le rappeler sans relâche, et pas seulement en matière automobile. L’Union européenne ne représente que 6 à 7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même une réduction héroïque de 50 % ne pèserait que 3 % à l’échelle planétaire. Ce n’est pas un argument pour l’inaction. Mais c’est une injonction à la modestie et au réalisme. La vertu solitaire ne sauvera pas le climat, surtout si elle détruit sa propre base industrielle.
Malgré cela, l’UE a décidé en 2020, puis gravé dans le marbre en 2023, l’interdiction des véhicules thermiques neufs en 2035, à marche forcée, sans filet, sans plan industriel crédible. À l’époque déjà, tout était connu. La domination chinoise sur les terres rares. La dépendance stratégique sur les batteries. Et, dans le même temps, l’excellence technologique du moteur diesel européen, perfectionné par les ingénieurs allemands et français, devenu un modèle de sobriété énergétique. On pouvait encore traverser l’Europe avec un plein.
Une fois de plus, l’Union s’est tiré une balle dans le pied sur l’autel d’une écologie idéologique, déconnectée des rapports de force économiques mondiaux. Une fois de plus, elle s’est singularisée en devenant le seul grand marché à interdire purement et simplement le thermique.
Certains constructeurs européens de véhicules électriques s’inquiètent aujourd’hui. Ils redoutent que le report ralentisse la pénétration du VE. Leur inquiétude est compréhensible. Mais elle ne saurait dicter seule la politique industrielle du continent.
Reporter l’interdiction n’est pas un renoncement. C’est une mesure de bon sens. Un sursis nécessaire pour permettre à l’industrie automobile européenne de s’adapter, d’innover, de reconquérir du temps et de la compétitivité. Et surtout, de préserver un secteur qui fait vivre des millions de personnes, de la chaîne de production aux concessions, en passant par la logistique et les services.
A quoi bon être vert si on est mort ?
Nicolas de Pape
(Photo Belgaimage)