Condamné à cinq ans de prison en Algérie, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal n’a reçu à ce jour aucun soutien public significatif des autorités européennes. Un comité de soutien international appelle Bruxelles à sortir de sa passivité, au nom de la défense des droits fondamentaux et des engagements contractuels de l’UE.
Le Comité de soutien à l’écrivain a sollicité de la médiatrice de l’UE l’ouverture d’une instruction sur le « manquement de la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères et du Service d’action extérieure commun à leur obligation de réponse et d’action en application de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. »
Condamné en Algérie à l’issue d’un procès expéditif de vingt minutes à cinq ans de prison ferme, Boualem Sansal, écrivain franco-algérien reconnu, est détenu dans des conditions opaques. Son Comité de soutien international, présidé par l’ancienne ministre française Noëlle Lenoir, s’alarme de l’inaction des institutions européennes.
Il a récemment adressé un courrier aux plus hauts représentants de l’Union – Ursula von der Leyen, Roberta Metsola, Antonio Costa, Kaja Kallas, la médiatrice de l’Union et Hélène Le Gal du Service européen d’action extérieure – afin de les exhorter à agir. Les courriers adressés à Madame Kallas ont été suivis du dépôt d’une plainte à son encontre début mai auprès de la nouvelle médiatrice européenne, la Portugaise Teresa Anjinho.
Accord d’association UE-Algérie
Le comité de soutien s’insurge du « failure to act » de la Haute représentante, c’est-à-dire de son inaction face au devoir de l’UE d’agir en conformité avec les traités et ses engagements internationaux. Sont notamment visés les engagements pris dans le cadre de l’accord d’association entre l’UE et l’Algérie conclu en 2002.
Le comité s’appuie sur des arguments juridiques et politiques solides. En tant que citoyen français, Boualem Sansal est protégé par l’article 46 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union, qui garantit une assistance consulaire dans les pays tiers. Au-delà, l’UE est liée par l’accord d’association avec l’Algérie, dont l’article 2 affirme que le respect des droits fondamentaux et des principes démocratiques est un élément essentiel de la coopération. L’Algérie, selon le comité, viole de manière flagrante cet engagement. Dès lors, poursuivre les discussions sur une révision de l’accord, comme le souhaite Alger, serait moralement et juridiquement inacceptable.
L’action de l’Union européenne en faveur de la libération de prisonniers d’opinion n’est pourtant pas sans précédents. En mai 2023, le Parlement européen a adopté une résolution condamnant la répression de la liberté d’expression en Algérie. Le cas du journaliste Ihsane El-Kadi, condamné lui aussi à cinq ans de prison pour des motifs fallacieux, avait fait l’objet d’un soutien appuyé des députés européens. Sa libération, intervenue en novembre, avait démontré l’efficacité d’une mobilisation claire. Le 23 janvier dernier, une résolution du Parlement européen exigeant la « libération immédiate et inconditionnelle » de Boualem Sansal a été adoptée à une écrasante majorité, à la seule exception notable de quelques députés français de la France Insoumise qui ont voté contre…
Transformer les belles paroles en actes
Le comité rappelle que Boualem Sansal, qui est bien plus vulnérable de par son âge et sa santé qu’Ihsane El Khadi, mérite une attention au moins équivalente – d’autant que ses ouvrages, uniquement rédigés en français, ne sont lisibles qu’en Europe, son œuvre étant censurée en Algérie.
La plainte auprès de la médiatrice européenne entend obliger Madame Kallas à mettre en harmonie ses déclarations et les principes des traités qu’il lui appartient de respecter. L’Europe se targue de placer la démocratie et les droits humains au cœur de son action extérieure. La présidente de la Commission l’a encore affirmé devant le Parlement le 27 novembre 2024. Mais les belles paroles doivent désormais se traduire par des actes : pressions diplomatiques, suspension de négociations, déclarations officielles, présence aux procès ou demandes d’accès aux détenus.
Le silence actuel est jugé d’autant plus préoccupant qu’il s’inscrit dans un contexte de crispation entre Bruxelles et Alger. Depuis 2021, l’Algérie a imposé des restrictions commerciales en représailles aux positions européennes sur le conflit au Sahara occidental. Ces tensions économiques ont suscité des protestations de l’UE, mais l’atteinte aux libertés fondamentales semble reléguée au second plan.
Le Comité de soutien à Boualem Sansal exige donc une ligne cohérente : l’Union ne peut se contenter de défendre ses intérêts commerciaux face à un Président algérien qui veut une révision de l’accord d’association au profit de son pays. Elle doit aussi défendre ses valeurs fondatrices. Il ne s’agit pas, insistent ses membres, d’ingérence, mais du respect d’engagements internationaux. À défaut, c’est la crédibilité même de l’Europe des droits humains qui serait atteinte.
Nicolas de Pape
(Photo : Martin Bertrand / Hans Lucas via AFP)

