Le travail de mémoire est essentiel. Plus que jamais même dans un monde déboussolé et tellement instable à tous les étages. La planète est aussi pénétrée de plus en plus insidieusement par des « fake news » qui finissent par ébranler les démocraties les plus solides et par semer le doute jusque dans les cerveaux des humanistes les plus engagés.
Pire encore : le populisme finit par pénétrer les pays jusqu’ici épargnés par les déviances politiques. Cela, tant dans les rangs de leurs décideurs que du côté des gardiens traditionnels des valeurs qu’étaient encore il n’y a guère les médias classiques. Le révisionnisme historique agit à tous les étages, flirtant aussi dangereusement avec un négationnisme contre lequel on se pensait aussi définitivement immunisé.
Bref, tout fout un brin – un euphémisme…- le camp. Au point de banaliser les idées politiques les plus extrêmes contre lesquelles on se croyait protégées après un XXe siècle qui connut à deux reprises des guerres mondiales tragiques et bien d’autres conflits régionaux non moins dévastateurs. Certes, les acteurs directs ne sont plus là. Pour avoir pu éclairer professionnellement l’histoire contemporaine dans divers médias du nord, du centre et du sud de la Belgique à un moment où on privilégiait pas encore les infos de préférence choquantes et dénuées d’analyses complémentaires pour épater le bon peuple, je n’aurai jamais assez de remerciements pour un nombre d’entre eux qui ont pu survivre aux cataclysmes et qui ont donc pu transmettre leur héroïsme de manière toujours très naturelle. En mettant en avant les valeurs positives quotidiennes, notamment dans la résistance aux extrêmes mais aussi lors de leurs privations de liberté ou plus en pointe sur les champs de bataille. Et cela tout en ne reniant pas leurs convictions les plus intimes.
Mon désenchantement n’est cependant pas vraiment neuf. Depuis quelques lustres, les commémorations d’un passé vraiment militant des droits humains ont perdu leur poids symbolique. Certes, dans la dernière décennie du XXe siècle, lors du cinquantenaire de la Seconde guerre mondiale, nombre de citoyens, jeunes et moins jeunes se sont engagés à prendre le relais de la mémoire des acteurs directs passés de l’autre côté du miroir mais cette belle relance de la citoyenneté s’est enrayée depuis lors. Ainsi, il y a quelques jours, on a évoqué le 81e anniversaire de la bataille des Ardennes mais les commémorations déjà plus rares n’ont pas eu de suite dans l’opinion sinon dans les pages régionales et sur les télés de proximité. Tout est à l’avenant : si on veut continuer à se tenir au courant, on passe surtout par les périodiques des associations d’anciens comme la Fédération nationale des anciens prisonniers de guerre qui assurent encore des reportages à travers leurs publications. Et où, hélas, aussi, les acteurs ne sont quasiment plus de ce monde…
Tout n’est cependant pas perdu… Ainsi, le Centre Guerre et sociétés contemporaines – le Cegesoma, successeur du Ceges, lui-même héritier du centre d’études de la Seconde guerre mondiale – est toujours là tout comme le War Heritage Institute. Mais jusques à quand ?
On ne peut jurer de rien en ces temps de restrictions budgétaires et pourtant, des étoiles surgissent encore ci et là dans les ténèbres du travail de mémoire. Ainsi la publication toute récente de « Nacht und Nebel au camp d’Esterwegen », une étude, à nos yeux essentielle, sur l’émergence et l’aventure philosophique d’un atelier maçonnique au sein de ce camp de concentration entre novembre 1943 et mars 1944.
Sa particularité ? Il regroupait uniquement des frères belges qui, au nez et à la barbe de leurs bourreaux et gardiens nazis y approfondirent leur attachement aux valeurs maçonniques mais aussi à la Belgique et aux combats pour un monde libre. La plupart d’entre eux finirent par payer de leur vie cet engagement patriotique et philosophico-moral puisque seulement cinq d’entre eux purent revoir leur terre natale après la guerre. Assez paradoxalement quoique…, cet épisode assez unique de résistance au fascisme et au national-socialisme germanique fut certes connu rapidement mais si la loge d’Esterwegen fut reconnue par le Grand Orient de Belgique dès 1945, sa dimension (inter)nationale n’émergea qu’à la fin des années 1980 et plus encore seulement au début du présent siècle puisqu’une première étude/monographie digne de ce nom ne remonte qu’à 2004 avec la publication par les Editions Labor de « Liberté chérie. Une loge maçonnique dans un camp de concentration » sous la plume de Pierre Verhas. Réédité un an plus tard par le Grand Orient de Belgique, ce livre a désormais une belle suite qui a nom « Nacht und Nebel. Histoire de la loge Liberté Chérie au camp d’Esterwegen (en photo en 1933).
Son auteur, Pierre Mortier a fait œuvre plus qu’utile car c’est un belle somme historique soumise à une étude critique sans concessions de tous les travaux et recherches menées sur les camps de concentration et leurs prisonniers bien malgré eux tant par le Cegesoma que par d’autres instances comme le Cedom, entendez : le Centre d’étude et de documentation de la franc-maçonnerie belge, aujourd’hui le principal point de référence pour l’histoire de la franc-maçonnerie belge. A la fois bibliothèque, centre d’archives et d’étude, c’est un lieu incontournable pour mieux connaître la Belgique à travers la franc-maçonnerie.
Deux lieux à absolument visiter pour celles et ceux qui s’intéressent à la maçonnerie et ses acteurs en Belgique. Il se fait que l’auteur du livre, Pierre Mortier est bénévole à la fois au Cegesoma et au Cedom. Une passion dévorante mais tellement éclairante pour ce désormais retraité d’une grande banque tant à Paris qu’à Bruxelles. Chargé de conférences en analyses financières à l’ULB, il s’est aussi passionné pour l’histoire de la Résistance en 40-45. Logique : son père, Henri Mortier s’était engagé dès septembre 1940 dans un Service de Renseignement et d’Action dont son frère, Dominique Mortier, militaire de carrière assumait la direction.
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